Apport de la géochimie et de la géochronologie à la connaissance de l’histoire des usages des instruments de musique modernes

Fig. 1.a- kinnari vina (E.1444) et b- rudra vina (E.997.24.1), Paris, Musée de la musique. © Musée de la musique-Philharmonie de Paris/C. Germain. https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/doc/MUSEE/0157225/cithare-sur-tube-kinnari-vina https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/0159145-cithare-sur-tube-bin-ou-rudra-vina.aspx

Bien qu’un musicien transporte en quelques secondes son auditoire dans un autre temps et dans un autre lieu, l’instrument de musique est souvent paradoxalement difficile à dater et son origine difficile à définir ! Objet d’art, d’usage, véhicule de valeurs culturelles, soumis aux modifications successives pour le mettre « au goût du jour », de quelle époque l’instrument est-il vraiment ? D’où viennent ses éléments ? Tenter de répondre à ces questions nécessite de faire dialoguer plusieurs disciplines. Tel était l’objectif de la thèse de Marie-Gabrielle Durier. Le dialogue s’est installé entre le Musée de la musique et le LSCE sous la baguette passionnée de Marie-Gabrielle.

Deux techniques avancées et couramment utilisées en archéométrie : la géochronologie 14C (MICADAS) et la géochimie isotopique du strontium (MC-ICP-MS, Neptune) ont été explorées ici afin d’évaluer la faisabilité et les limites d’adaptation aux problématiques des collections muséales d’instruments de musique de la période Moderne. Ce travail s’est concentré sur les vernis huile de lin/colophane ; le corpus d’étude a été étendu aux vernis de mobilier et d’hippomobiles du début du 18e s. et comprend également des cordes de boyaux anciennes comme témoins matériels de l’histoire des usages. Le volet géochronologie 14C (datation) a débouché sur le développement de protocoles d’échantillonnage et de traitements chimiques adaptés selon la nature des matériaux. Des éléments ont également permis d’approfondir la connaissance sur les objets patrimoniaux analysés et leurs usages (impact de restaurations, réemploi de matériaux, ingrédients, etc.).

Fig. 2. La cithare chinoise ou qin de la collection du CNAM (inv. n°04224) Les cordes en soie ont été mises en place en 2018 au Musée de la musique, Paris. a- photo de l’avant et b- photo de l’arrière du qin. © Musée de la musique-Philharmonie de Paris/C. Germain. https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/doc/MUSEE/11053 37/cithare-qin.

Le volet isotopie du strontium (traceur d’origine géographique) a été testé sur des liants organiques du marché actuel. La conservation de la signature 87/86Sr depuis le socle géologique jusqu’à la résine de pin et la colophane (après distillation) a été validée pour des échantillons sol/résine/colophane d’origine connue. Une sélection de colophanes a fourni des mesures 87/86Sr cohérentes avec les cartes géochimiques. Cette étude d’état d’avancement méthodologique sur deux volets montre la possibilité de surmonter des écueils comme la taille de l’échantillon ou les niveaux de contamination. Elle a fait l’objet de trois publications (Durier et al. 2019, 2021, 2022) et ouvre des perspectives pour aborder les questions de la contrefaçon, la retouche, de l’entretien ou la restauration sur l’instrument de musique, et de la provenance des liants organiques utilisés dans les vernis en lutherie, étendus aux autres objets patrimoniaux.

Le projet de thèse s’est traduit par plusieurs publications dont vous trouverez les références ci-dessous et d’autres articles, en cours de rédaction, suivront d’ici peu

Durier M.-G., Bruguière P., Hatté C., Vaiedelich S., Gauthier C., Thil F., Tisnérat-Laborde N. (2019) Radiocarbon dating of legacy music instrument collections: example of traditional Indian vina from the Musée de la Musique, Paris. Radiocarbon, 61(5), 1357-1366, doi: 10.1017/RDC.2019.71

Durier M.-G., Girard-Muscagorry A., Hatté C., Fabris T., Foasso C., Nowik W., Vaiedelich S. (2021) The story of the “Qiulai” qin unraveled by radiocarbon dating, Chinese inscriptions and material characterization. Heritage Science, 9, 89. doi.org/10.1186/s40494-021-00563-8

Durier M.-G., Hatté C., Vaiedelich S. (2022) La datation au radiocarbone nous raconte l’histoire des instruments de musique modernes : exemple de vina-s indiennes traditionnelles du Musée de la musique, Paris. Techné, 52, 37-43. https://journals.openedition.org/techne/9723

En savoir plus sur les vinas : Bruguière P. (2022) Une vina du XVIIe siècle – Reflet de la splendeur moghole. Éditions de la Philharmonie de Paris. 109pp. ISBN : 9791094642559