Distinction des processus biotiques et abiotiques dans le développement de karsts sulfuriques

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Photos des différentes textures de sulfates de sodium (thénardite et mirabilite) observés dans la grotte du Nébélé (Pyrénées français).

Dans les roches carbonatées, les karsts sont communément formés par dissolution à partir d’acide carbonique issu du CO2 atmosphérique dissous dans les eaux météoriques. Toutefois, certains karsts peuvent également se former grâce à la production naturelle d’acide sulfurique. De plus en plus d’études montrent que ces karsts à acide sulfurique semblent beaucoup plus communs que ce qu’on pensait. Leur mode de formation reste cependant encore très débattu, il est notamment difficile de bien contraindre la source du soufre à leur origine, surtout s’il y a plusieurs sources impliquées. Une équipe de chercheurs de plusieurs laboratoires français (GeoRessources, Nancy ; Université de Pau et Pays de l’Adour ; Université Bourgogne Franche-Comté ; Institut de Physique du Globe de Paris ; CRPG, Nancy) ont étudié deux grottes pyrénéennes françaises, afin de discriminer les différentes sources de soufre à leur origine.

Les sources identifiées pour ce type de karst sont : l’oxydation d’H2S généré par réduction des sulfates soit de manière biotique (la MSR) soit abiotique (la TSR), ou bien l’oxydation de sulfures présents dans la roche encaissante. L’équipe de chercheurs a échantillonné la roche encaissante et les différents spéléothèmes de minéraux sulfatés (gypse : CaSO4·2H2O, thénardite : Na2SO4, mirabilite : Na2SO4·10H2O, blödite : Na2Mg(SO4)2·4H2O) qui y sont associés directement dans les cavités, ainsi que les eaux de la résurgence des cavités et de sources proches afin de comparer leurs différentes signatures isotopiques. En utilisant une approche innovante couplant géomorphologie et mesures multi-isotopiques du soufre, de l’oxygène et du strontium, l’équipe a permis d’identifier que seul l’oxydation d’H2S par MSR et TSR était impliqué dans ces deux cavités.

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Schéma de la spéléogenèse présentant le mélange d’acide sulfurique issu de la sulfato-réduction microbienne (MSR) et de la thermo-réduction des sulfates (TSR) à l'échelle du réseau de la grotte du Nébélé (Pyrénées françaises), avec à droite une projection à l'échelle de la galerie du Scrouitch de la Grotte de Nébélé. t1–t3 sont les différentes périodes de la spéléogenèse.

Il s’est avéré que la roche encaissante était enrichie en H2S généré par TSR lors de précédents événements géologiques du Crétacé. Puis, au Pliocène, lorsque des eaux météoriques enrichies en CO2 se sont infiltrées et ont commencé à dissoudre la roche, celle-ci a libéré l’H2S qui s’est oxydé en acide sulfurique, permettant de dissoudre encore plus efficacement la roche. Lorsque le réseau karstique est devenu plus stable avec des zones de méandres, une activité microbienne a pu significativement se développer et réduire les sulfates dissous dans les eaux pour générer d’autre H2S qui va lui aussi s’oxyder en acide sulfurique sur les parois des cavités. Les minéraux sulfatés découlant de la neutralisation de l’acide sulfurique lors de la dissolution des carbonates encaissants, vont précipiter en enregistrant la signature isotopique de l’H2S généré par TSR et par MSR. Grâce aux analyses de multi-isotopie du soufre il a été possible de quantifier l’influence relative de ces deux processus, avec une contribution d’environ 41% pour la TSR et 59% pour la MSR.

Cette étude ouvre la voie à des études similaires sur d’autres grottes à acide sulfurique où seule l’activité microbienne a généralement été prise en compte.

Lien vers la publication:

D. Laurent, G. Barré, C. Durlet, P. Cartigny, C. Carpentier, G. Paris, P. Collon, J. Pironon, E.C. Gaucher; Unravelling biotic versus abiotic processes in the development of large sulfuric-acid karsts. Geology 2023; doi: https://doi.org/10.1130/G50658.1