Un impact non-linéaire des glaciations sur l'érosion des Alpes

Figure 1 : Image satellite des panaches sédimentaires exportés par les fleuves du Var et de la Roya après l’évènement météorologique extrême « Alex » en octobre 2020. (C. Gorini). Cette image illustre la continuité du signal terre-mer, qui explique pourquoi les sédiments marins enregistrent l’érosion des montagnes.

Résumé : Une étude publiée récemment par Apolline Mariotti (post-doctorante au CRPG) et ses collègues dans le journal Nature Geoscience (Mariotti et al., 2021) lève le voile sur la manière dont les variations climatiques modifient l’érosion des montagnes, en mettant en évidence le rôle clef de la vitesse d’écoulement des glaciers. En analysant le 10Be cosmogénique in situ dans les sédiments quaternaires issus du Var, ces travaux soulignent le rôle majeur des glaciers sur l’érosion. Ils fournissent aussi un cadre conceptuel qui permettra de mieux caractériser l’impact des évènements climatiques extrêmes sur la dynamique érosive, sujet de société majeur, comme l’a tristement mis en lumière la récente tempête Alex qui a sinistré le bassin du Var en octobre 2020.

Contexte :

L’érosion est un processus qui façonne les paysages. Elle joue aussi le rôle de régulateur climatique à l’échelle des temps géologiques, en pompant le CO2. En retour, l’érosion est aussi dépendante des fluctuations climatiques, à toutes échelles de temps. Cependant, l’impact direct des fluctuations climatiques sur l’érosion reste très controversé, faute de données continues robustes.

Méthode et objets :

Pour mieux comprendre comment l’érosion réagit aux fluctuations climatiques, nous avons dans cette étude reconstruit l’érosion des Alpes du Sud (Bassin du Var) en étudiant deux carottes sédimentaires en Méditerranée, à 2 000 mètres de profondeur, qui couvrent les derniers 75 000 ans, à savoir la majorité de la dernière glaciation (75 000 – 18 000 ans), la déglaciation (18 000 – 11 000 ans) et l’Holocène (depuis 11 000 ans), dont le climat tempéré est similaire à l’actuel. En mesurant les concentrations en 10Be cosmogénique dans les grains de quartz de ces sédiments, il est possible de déterminer l’érosion dans le passé : plus l’érosion est rapide, moins le 10Be est présent dans le quartz.

Résultats et implication :

Les résultats montrent que, malgré la présence de glaciers sur les sommets, les taux d’érosion dans le bassin du Var entre 75 000 et 27 000 ans sont similaires aux taux actuels (~0.25 mm.a-1). Cependant, pendant la reavancée du Dernier Maximum Glaciaire (27 000 – 19 000 ans), les taux d’érosion ont augmenté d’un facteur 3 à 4. Pendant la déglaciation et l’Holocène (18 000 ans – présent), les taux d’érosion redeviennent stables et comparables au taux actuel. En modélisant l’extension des glaciers au cours du temps, nous montrons que l’érosion a été contrôlée par la vitesse des glaciers, qui résulte elle-même de la combinaison entre le climat et le relief. Ces résultats suggèrent que l’impact du climat sur l’érosion dans les Alpes est non-linéaire et piloté par la dynamique des glaciers. Ce constat indique que la réponse de l’érosion aux glaciations a sans doute été très contrastée au niveau mondial, voire inexistante dans certains massifs.

Lien vers l’article :

Nonlinear forcing of climate on mountain denudation during glaciations. Mariotti et al., Nature Geoscience, 2021, doi : https://doi.org/10.1038/s41561-020-00672-2

Référence, communication INSU :

Figure 2 - Paléo-érosion des Alpes du Sud (bassin versant du Var) enregistrée par le 10Be dans les sédiments marins, en fonction des extensions glaciaires depuis 75 ka. Nos modélisations montrent que la vitesse des glaciers a contrôlé l’érosion depuis 75 ka (Mariotti et al. 2021).